Eugeniu Coșeriu: Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau

Ediție nouă, augmentată de Jörn Albrecht, cu o remarcă preliminară de Jürgen Trabant. Versiune românească și indice de Eugen Munteanu și Mădălina Ungureanu. Cu o prefață la ediția românească de Eugen Munteanu, colecția Academica, București: Humanitas, 2011, 520 p. ISBN 978-973-50-2961-6.


La conception philosophique de la théorie du langage introduite par Eugenio Coseriu a connu une vaste réception à niveau international; néanmoins, toute une série importante des écrits cosériens n’ont eu qu’une diffusion partiale à cause de leur langue de publication. Ceci est aussi le cas de la réception en Roumanie. Par exemple, les spécialistes roumains qui n’ont pas des compétences de communication en langue allemande n’ont pas accès aux livres écrits dans cette langue et qui ne sont pas traduits encore. Un exemple est l’un des livres les plus réussis de Coseriu, Die Geschichte der Sprachphilosophie von der Antike bis zur Gegenwart. Eine Übersicht. Teil I: Von der Antike bis Leibniz, WS 1968/69, hrsg. von G. Narr und R.Windisch, Tübingen, 1969, 2. Auflage 1975; Die Geschichte der Sprachphilosophie von der Antike bis zur Gegenwart. Eine Übersicht. Teil II: Von Leibniz bis Rousseau, WS 1970/71, hrsg. von G. Narr, Tübingen, 1972. Si jusqu’en 2011 on parle de l’accès d’un nombre limité de spécialistes et de chercheurs familiers avec la langue allemande, cet obstacle a été enlevé par la publication en 2011 du volume Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau (« Histoire de la philosophie du langage des origines à Rousseau ») – traduit par Eugen Munteanu, le directeur de l’Institut de Philologie Roumaine « Alexandru Philippide », et par Mădălina Ungureanu, lancé dans le cadre du Colloque international anniversaire Eugenio Coseriu – 90 ans dès sa naissance (Iassy-Bălți, 27-29 Juillet 2011), organisé par l’Académie Roumaine, Filiale de Iassy, l’Institut de Philologie Roumaine « A. Philippide », l’Université « Alexandru Ioan Cuza », Faculté des Lettres, Iassy et l’Université d’État « A. Russo », Bălți.

La traduction de l’édition « augmentée » par Jörn Albrecht, avec une remarque préliminaire de Jürgen Trabant (Geschichte der Sprachphilosophie von den Anfängen bis Rousseau. Neu bearbeit und  erweitert von Jörn Albrecht, mit einer Vor-Bemerkung von Jürgen Trabant, A. Francke Verlag, Tübingen und Basel, 2003), est une nouvelle façon d’avoir accès à la pensée de Coseriu. En outre, le texte est accompagné d’une préface écrite par le linguiste Eugen Munteanu, qui considère que :

Diferenţa specifică a lecturii pe care ne-o oferă Eugeniu Coşeriu constă în accentul pe o hermeneutică a originarului şi a autenticităţii, pentru care contactul direct cu textele marilor gânditori reprezintă deopotrivă punctul de plecare, reperul constant şi punctul final. Ideile par astfel a fi «moşite» în chiar matricea lor originară, adică în gândirea celor care le-au produs. (La différence spécifique de la lecture d’Eugenio Coseriu se caractérise par l’accent mis sur une herméneutique de l’originaire et de l’authenticité, pour lesquelles le contact direct avec les textes de grands penseurs sont à la foisle point de départ, le repère constant, et le point final. Ainsi, les idées semblent être forgées dans leur matrice originaire, c’est-à-dire dans la pensée de ceux qui les ont produites.) (p. 19)

Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau est un ouvrage typique de Coseriu (comme d’autres travaux tels que La linguistique textuelle et La compétence linguistique), en ce qu’il est composé de la transcription des notes de cours. „Pentru a scrie,

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Coseriu are nevoie de vocea sa și, în mod evident, are nevoie de un ascultător, de un «acroates», care consemnează în scris cele auzite. Opera scrisă a lui Coșeriu este, în acest sens, de esență «acroamatică», aparținându-le deopotrivă și ascultătorilor săi.” (« Pour écrire, Coseriu a besoin de la voix et, évidemment, il a besoin d’un écouteur, d’un acroates qui écrit ce qu’il entend. L’œuvre écrite de Coseriu est, dans ce sens, essentiellement « acroamatique », en appartenant également à ses auditeurs ».) (p. 5-6) Jürgen Trabant note qu’à l’origine, cette Histoire de la philosophie du langage n’a jamais été un livre proprement-dit, mais la transcription des cours de Coseriu à Tübingen des années 1968/69 et 1970/71. Rudolf Windisch et Gunter Narr ont enregistré et publié le texte pour la première fois en 1969 et en 1972, dans deux petits volumes, tapés à la hâte, pleins de fautes, et surtout fragmentaires. Istoria filozofiei limbajului s’arrête avant d’atteindre effectivement « la vraie philosophie du langage », c’est-à-dire Herder, Humboldt, Hegel. Dans ses cours ultérieures, Coseriu a parlé de la période allant jusqu’en 1835 (l’année de la mort de Humboldt), mais ces cours n’ont jamais été publiés sous la forme d’un livre. (p. 5)

Seulement en Décembre 2001, Jörn Albrecht a pu remettre à Eugenio Coseriu la version provisoire des premiers huit chapitres, au cours d’une cérémonie académique. Pour la rédaction de la deuxième partie, le linguiste a été consulté seulement de manière orale afin de clarifier les questions difficiles. Alors qu’il était occupé à corriger la version à imprimer, il a reçu la nouvelle de la mort de son professeur. (p. 5) Jörn Albrecht fait remarquer que dans sa forme finale, l’exposé ne peut pas prétendre d’être une véritable histoire de la philosophie du langage, mais plutôt une exposition historique globale, qui présente dans leur essence les textes des philosophes importants et qui ont une certaine pertinence du point de vue de la philosophie et de la théorie du langage. Au moment historique donné, un tel aperçu d’ensemble, était encore „un deziderat, chiar dacă de la publicarea textului originar au apărut câteva asemenea prezentări generale utile, influențate în mod evident de prima versiune a lucrării lui Coseriu și care, la rândul lor, și-au pus amprenta asupra versiunii de față.” (« un souhait, même si depuis la publication du texte originaire, plusieurs autres présentations générales, très utiles, ont été publiés, influencées évidemment par la première version du travail de Coseriu et qui, à leur tour, ont influencé la version actuelle. ») (p. 15).

Coseriu s’est rendu compte qu’il nous manquait une présentation historique complète, y compris la recherche approfondie et la présentation des directions traditionnelles de la philosophie du langage (p. 285). Il envisage réaliser, comme il dit si modestement, seulement une étude « préliminaire » sur deux mille ans de philosophie et de linguistique et qui a été publiée dans un moment historique favorable, marqué par une crise dans le développement de la réflexion linguistique, le succès du livre étant dû à son discours magistral, à son érudition et à la critique convaincante.

Le volume Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau est structuré en 19 chapitres, dont les titres montrent une connaissance approfondie de l’histoire de la philosophie du langage de la part de Coseriu, qui applique ici l’un de ses cinq principes épistémologiques, le principe de la tradition: 1. Problematica filosofică, 2. Problematica filozofică în relație cu limba: ce este filosofia limbajului?, 3. Filozofia limbajului în India, 4. Heraclit, 5. Platon, 6. Aristotel, 7. Stoicii, 8. Sfântul Augustin, 9. Filosofia limbajului în Evul Mediu, 10. Juan Luis Vives și filozofia limbajului în Epoca Renașterii, 11. René Descartes și ideea limbii universale, 12. John Locke, 13. Gottfried Wilhelm Leibnitz, 14. Continuitate și discontinuitate în istoria filozofiei limbajului, 15. Secolul al XVIII-lea în Marea Britanie: filozofia limbajului între empirism, platonism și psihologism, 16. Giambattista Vico, 17. Secolul al XVIII-lea în Germania: teoria semnelor, gramatica generală, teorii despre originea limbii,

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18. Secolul al XVIII-lea în Franța: de la Iluminism la Preromantism, 19. Perspective (1. Le problème de la philosophie, 2. Le problème de la philosophique en rapport avec la langue: qu’est-ce la philosophie du langage ?, 3. La philosophie du langage en Inde, 4. Héraclite, 5. Platon, 6. Aristote, 7. Les stoïciens, 8. Saint-Augustin, 9. La philosophie du langage au Moyen Age, 10. Juan Luis Vives et la philosophie de la Renaissance, 11. René Descartes et l’idée d’une langue universelle, 12. John Locke, 13. Gottfried Wilhelm Leibniz, 14. Continuité et discontinuité dans l’histoire de la philosophie du langage, 15. Le XVIIIe siècle en Grande-Bretagne: la philosophie du langage entre l’empirisme, le platonisme et le psychologisme, 16. Giambattista Vico, 17. Le XVIIIe siècle en Allemagne: la théorie des signes, la grammaire générale, les théories sur l’origine du langage, 18. Le dix-huitième siècle en France : De l’illuminisme au préromantisme, 19. Perspectives.)

Comme l’on peut le déduire des titres des chapitres, mais surtout de leur contenu, Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau traite, à la fois, la philosophie, la linguistique, la théorie littéraire et la théorie culturelle. On y peut également identifier les sources philosophiques de la doctrine de Coseriu. „Punctele culminante ale celor două prelegeri sunt, fără îndoială, prezentarea lui Aristotel și Vico.” (« Les points culminants des deux cours sont, sans doute, la présentation d’Aristote et de Vico. ») (p. 5) Chaque chapitre se termine avec un résumé et avec des indications bibliographiques. La multitude de citations dans différentes langues (grec, allemand, anglais, français), intégrées dans un contexte historique, ainsi que leurs traductions, sont une particularité de ce travail ; ils font preuve de l’érudition du linguiste, connaisseur de nombreuses langues.

Le chapitre Problematica filozofică în relație cu limba: ce este filozofia limbajului? (La problème de la philosophique en rapport avec la langue: qu’est-ce la philosophie du langage ?), montre le rôle de Coseriu dans l’autonomisation de cette science, en notant „există lingviști care vor să reducă filozofia limbajului la lingvistica generală și teoretică” (« qu’il y a des linguistes qui veulent réduire la philosophie du langage à la linguistique générale et théorique »), mais ce qu’il entend par „«filozofia limbajului» nu ține de domeniul de activitate al lingvisticii și se situează în afara competenței multor reprezentanți ai acestei discipline ce au pretenția că se ocupă și de filozofia limbajului” (« la philosophie du langage ne tient pas du domaine d’activité de la linguistique et se situe en dehors de la compétence de nombreux représentants de cette discipline qu’ils prétendent qu’ils s’étaient occupé de la philosophie du langage aussi. ») (p. 39). L’objet d’étude de la philosophie du langage est identifié par rapport à la linguistique générale et à la théorie de la langue. Il faut remarquer la prédilection pour les formulations axiomatiques. Se référant à la philosophie du langage, Coseriu considère qu’en contradiction avec la linguistique générale et la théorie du langage, cette étude traite „esența limbajului în sine”, și că „problemele specifice nu mai pot fi formulate (sau nu numai) «în interiorul limbii»; ele trebuie să treacă dincolo de cadrul lingvistic” (« l’essence même du langage » et que « les problèmes spécifiques ne peuvent pas être formulées (ou pas seulement) à l’intérieur du langage » ; ils doivent passer au-delà du cadre linguistique. »)

Coseriu réalise une distinction entre l’ancienne philosophie du langage, période où on peut parler d’une philosophie du langage « indirecte » et une philosophie du langage « directe ». La philosophie du langage avant Giambattista Vico et jusqu’au romantisme allemand est appelée « indirecte », parce qu’elle ne traite pas le langage en tant que tel, mais plutôt on voit toujours le langage dans une relation avec quelque chose d’autre. Par contre, Coseriu parle d’une philosophie du langage « directe », après le romantisme allemand, quand „problema limbajului a devenit punctul central al filozofiei limbajului, iar acest lucru este valabil și în

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zilele noastre. (« le problème du langage est devenu le point central de la philosophie du langage, et cela est valable aujourd’hui aussi ») (p. 43). La philosophie du langage directe commence avec Giambattista Vico, continue avec Rousseau, Hamann, Herder, Leibniz, etc. et considère le langage „drept obiect al cercetării în sine și nu prin relație cu altceva” (« comme objet de recherche en lui-même et pas dans une relation avec autre chose »). Après Locke et Leibniz, on peut observer une „scindare în mai multe direcții” (« scission dans plusieurs directions »), le développement de la philosophie du langage ne suivant plus une ligne unitaire. (p. 284) C’est la philosophie du langage qui a pour tâche de chercher des réponses aux questions concernant la linguisticité, c’est à dire sur l’essence („ce înseamnă a-fi-limbă” « ce que signifie être-langue »), sur l’origine („de unde vine faptul-de-a-fi-limbă” « d’où le fait-d’être-langue vient ») et sur la finalité („în ce scop există limbi” « quel est le but de l’existence des langues »).

L’œuvre est couronnée par une bibliographie exhaustive (y compris les sources et les ouvrages de référence, une liste d’Introductions à la philosophie du langage et son histoire ; et des Anthologies de textes de la philosophie du langage. Pour une série d’œuvres qui n’ont pas été mentionnées dans le texte, des courts commentaires sont offerts). Finalement, le Nominum index est très utile pour ceux qui veulent « s’approprier cette science ».

Le rôle de Coseriu dans l’autonomisation de la philosophie du langage a été largement reconnu au fil du temps. Ainsi, Jürgen Trabant estime que:

În faţa ta vorbeşte nu doar cineva care cunoaşte infinit de multe lucruri şi care, prin urmare, poate să-şi expună, cu o impresionantă autoritate, interpretările şi judecăţile. În faţa ta vorbeşte cineva care este sigur de ceea ce spune şi pentru care lucrurile omeneşti şi cele cosmice, şi mai ales cele care ţin de erudiţie, au o anumită ordine. Astfel, de exemplu, Coşeriu ştie şi spune care este sarcina filozofiei şi a ştiinţei. Filozofia [subl. n.]îşi pune problema sensului fiinţei. Prin urmare, filozofia limbajului [subl. n.] îşi pune problema sensului fiinţei limbajului.(En face de vous ne parle pas quelqu’un qui sait des choses infiniment nombreuses et donc il est capable d’exprimerses interprétations et ses jugements avec uneautorité impressionnante. En face de vous parle quelqu’un qui est sûr de ce qu’il dit, et pour lequel les choseshumaines et les choses cosmiques, et notamment celles relatives à l’érudition, ont un certain ordre.Ainsi, par exemple, Coseriu sait et dit quelle est la mission de la philosophieet de la science. La philosophie s’interroge sur le sens de l’être. Par conséquent,la philosophie du langage s’interroge sur le sens de l’être du langage.) (p. 8)

Au moment de la traduction (2009), la version réalisée par Eugen Munteanu et Mădălina Ungureanu semblait être la première dans une langue autre que l’allemand. En 2010 a été lancé la traduction effectuée par l’une des disciples d’Eugenio Coseriu, Donatella di Cesare, Storia della filozofia del linguaggio. Edizione italiana a cura di Donatella Di Cesare, Carocci Editore, Roma.

La contribution d’Eugenio Coseriu à l’autonomisation de la philosophie du langage, à l’identification de l’objet d’étude, est certaine, sa vision cohérente et compréhensive le distingue parmi les autres, ouvrant la voie à un grand nombre de recherches et d’études. Même si, au bout de trente années, certaines choses de Istoria filozofiei limbajului de la începuturi până la Rousseau devraient être révisées, la lecture des classiques de la philosophie du langage faite par Coseriu est loin d’être obsolète, en devenant classique, et le caractère stimulateur et la fascination de ces cours peuvent être perçus encore aujourd’hui (p. 8), le volume se caractérisant par « une dimension païdetique, formative ». On souscrit à l’opinion de Donatella Di Cesare selon laquelle Eugenio Coseriu est, à tous égards, un « classique » dans le sens où Hegel ou Gadamer ont compris cela : un classique n’est pas un modèle supra-historique, mais c’est une façon d’être éminemment de l’être historique,

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parce que în trecerea timpului conservă din trecut un «non-trecut» care îl face contemporan în orice epocă.” (« au fil du temps on préserve du passé un non-passé, qui le rend contemporain de toutes les époques. ») 1.


Mihaela-Cătălina Tărcăoanu, Iași

 

 

 



[1]       Ce compte-rendu a été réalisé dans le cadre du projet Société de la Connaissance – Recherches, Débats, Perspectives, cofinancé par l’Union Européenne et le Gouvernement Roumain du Fonds Social Européen par le Programme Opérationnel Sectoriel Le Développement des Ressources Humaines 2007-2013 POSDRU/89/1.5/S / 56815.